L’echec de l’etat-nation en afrique : la chasse aux sorcières contre les peulhs du mali

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 Le grand congrès impérialiste , tenu à Berlin en 1885,  prévoit le découpage arbitraire de l’Afrique , au hasard des appétits coloniaux, sans tenir compte des éléments sociologiques et culturels du continent.
L’entreprise d’exploitation coloniale , obnibulée par la course effrenée vers le capital, ne travaillait que pour la seule exploitation des colonies au bénéfice unique de la Métropole. Les Territoires d’Outre Mer (TOM) et les Départements d’Outre Mer (DOM) , désignant l’Empire Colonial de la France , sont désormais , selon les termes du « pacte colonial », pourvoyeurs des matières premières à la Métropole . . .
 Cette vaste entreprise d’exploitation et de surexploitation des indigènes et de leurs territoires remplace une autre pratique plus dégradante , humiliante , à la limite de la barbarie et du cynisme : l’esclavage( Karl Marx désigne cette période par « l’accumulation primitive du capital »). Les Etats précoloniaux sortent exsangues de la traite nègrière, et, aussitôt l’abolition de celle- ci par l’Occident (non pas sans payement de dommages et intérêts) , ils sont désormais livrés à une exploitation économique sans précédent.
Le congrès de Berlin morcelle les ethnies existantes et regroupe des ethnies concurrentes. Les effets de ce morcellement arbitraire sont encore visibles aujourd’hui en Afrique subsaharienne et portent en germe de nombreux conflits ethniques occasionnant des situations dramatiques.
-De la naissance des Etats africains : l’hybridation institutionnelle.
Avant la colonisation, durant la période précédante (royaumes, empires, esclavage), la territorialisation du pouvoir polititque n’est pas achevée ; elle est très faible. En Afrique noire, le pouvoir ne se fonde pas sur un territoire mais sur des ethnies, des communautés, des coutumes. La colonisation,  par un  processus de territorialisation du pouvoir politique,  opère une rupture fondamentale et  elle favorise la centralisation du pouvoir. Elle se traduit par l’imposition de structures administratives sur le modèle de l’Etat occidental. La métropole installe sa propre structure administrative et ses fonctionnaires coloniaux  pour faire respecter l’ordre colonial. Le droit positif a été exporté. Cependant, soucieuses d’asseoir sa légitimité, le pouvoir colonial fait appel à certains chefs locaux (chefs de cantons) qui jouent le rôle de  courroie de transmission entre le centre et la périphérie. Ces chefs locaux , se légitimant aux yeux de la population, ont pour fonction de réduire les poches de résistance à l’occupant. Ils assurent en fait l’emprise du colonisateur et en même temps ils illustrent la persistance de principes traditionnels d’organisation de la société locale. Puisque les frontières sont fixées hasardeusement ,  il se pose le problème de l’Etat-Nation aux populations partageant le même espace terrestre. Le colonialisme se joue de ses rivalités pour asseoir son hégémonie sur un ensemble hétéroclite. On se trouve donc en présence de deux niveaux administratifs juxtaposés et imbriqués.
Dès l’indépendance de ces pays,  les premiers dirigeants africains sont confrontés à la réalité de la construction des Etats-Nations. S’ils ont réussi à provoquer le sentiment national pour engager leurs peuples respectifs dans la voie de l’indépendance et de la souveraineté, la construction de la Nation pose d’énormes difficultés. Les nouveaux Etats se trouvent devant des structures administratives hétérogènes relevant de deux héritages socioculturels différents. D’une part les structures traditionnelles, et d’autre part les nouvelles structures introduites par la colonisation.
La politique s’ethnicise et les velleités irrédentistes se font déjà sentir. Les Etats-Nations post-coloniaux semblent être des institutions aux pieds d’argile.
-Variation sur le Mali post-colonial : le nord-Mali au coeur de l’échec de l’Etat-Nation
En 1960, la Fédération du Mali (ensemble étatique rassemblant le Mali et le Sénégal) éclate. L’indépendance du Mali est proclamée par Modibo Keita , ancien instituteur,  ex- président de la defunte Fédération du Mali. Le Mali a un vaste territoire deux fois et demi plus grand que la France. Modibo Keita et ses compagnons posent les bases d’un Etat résilient. Il suit , dans sa politique intérieure comme extérieure, le modèle de son camarade de Guinée, Sékou Touré , indépendant depuis 1958. A l’indépendance, les nouveaux Etats africains poursuivent la reproduction du modèle centralisé de l’ancien colonisateur; mais cette reproduction n’est pas identique aux structures sociales préexistantes. Les Etats africains post-coloniaux sont une hybridation du modèle étatitque occidental. Le colonisateur avait fixé des frontières auxquelles il associa le contrôle administratif et politique d’un centre. Cette association favorise une centralisation du pouvoir politique. Très tôt , Modibo fait face à des velleités irrédentistes qu’il arrive à dissiper un moment.
L’armée s’empare du pouvoir. Modibo Keita est évincé et il décède peu temps après dans des conditions troubles à Kidal, dans le nord-mali où il était en détention arbitraire. Moussa Traoré s’empare du pouvoir et il instaure un Etat corrompu voire néo-patrimonial, pour reprendre un concept d’Eisendstadt (sociologue israélien). Le néo-patrimonialisme est le prolongement de cette logique patrimoniale de domination dans les pays du tiers- monde.
Le problème du nord-Mali est resté quasimment irrésolu ou sinon insoluble. Samuel Hutington a été prémonitoire dans son analyse de l’après – guerre froide. Dans « Choc des civilisations » , c’est le titre de l’ouvrage, Samuel Hutington explique, qu’après la longue période de rivalité Est- Ouest,  qu’il y aura une multiplication des foyers de tensions sous la forme de conflits culturels. La région du Sahel , où foisonnent plusieurs réseaux terroristes , offre la parfaite illustration de cette analyse. A côté des revendications indépendantistes , les mouvements terroristes AQMIR et BOKO HARAM fleurissent dans la région du nord Mali. L’Etat malien, qui a perdu de sa résilience depuis des lustres, n’est plus à même de faire face à la puissance de frappe de l’armée secessionniste et des islamistes. Comme sous une période que nous crûmes jusque là révolue ,  « la France,  généreuse et porteuse des valeurs humanistes, vient au secours du Mali et des maliens ». L’opération Serval a été naïvement applaudie par bon nombre de maliens et d’africains. Malgré les avertissements émis à jet continu par  pas mal d’intellectuels et de politiques africains, la majorité n’appercevait que la partie de l’iceberg au-dessus de l’eau. Cette intervention n’était motivée que par un penchant néo- colonialiste car l’ex puissance coloniale doit préserver son pré carré africain et faire prévaloir ses intérêts avant tout. Le motif humanitaire ne sert souvent que de prétexte spécieux.
Le Mali organise son élection présidentielle à la fin du mois de juillet de 2018. C’est le moment propice en Afrique , dans un contexte de multipartisme mal adapté et mal compris , pour qu’éclatent les tensions ethniques. Depuis fin juin dernier,  c’est la communauté peulh qui paye les frais de l’irresponsabilité notoire de l’Etat malien. Une milice de donzos (chasseurs) , sans foi et ni loi ,  serait à l’origine de cette traque organisée contre les peulhs du Mali. Les responsables de la communauté peulh et des organisations des droits de l’homme sur place au Mali accusent le président malien , Ibrahim Boubacar Keita , d’être le commanditaire de ces crimes avec la complicité…de la France.  L’armée française au Mali conçoit la population peulh comme une alliée naturelle du terrorisme dans le nord du Mali. Ce qui relève d’un jugement approximatif n’ayant pour unique et seul objectif que de provoquer des dissensions ethniques et de faire prévaloir des intérêts opposés à ceux du peuple malien et de l’Afrique. Les forces armées maliennes seraient impliquées dans ce massacre des peulhs au Mali. Ce qui reste tout de même une grave accusation.  Le peuple peulh est martyrisé par l’Etat malien et ses milices de donzos, avec la complicité des forces françaises , sans parler du silence coupable de l’Union Africaine (UA)  et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Voilà la même France, hier alliée d’Ojukwo le biafrais , empêtrée dans une autre affaire de génocide au Mali. Rien de plus burlesque que le spectacle de ces dirigeants européens tentant de trouver une solution sans solution à la crise migratoire. Ce n’est que l’effet boomerang de la politique étrangère française occupée des ingérences dans les affaires internes des Etats , à soutenir des régimes dictatoriaux et impopulaires en Afrique. A quoi se résume la prétendue « Fraternité  » entre la France et l’Afrique ? Des beaux discours aux beaux discours, en passant par de beaux discours ! C’est de la duperie depuis l’aube des  indépendances africaines.
Du silence coupable de la supposée « Communauté Internationale » face au massacre des peulhs qui se déroule au Mali ,  quand on sait la fragilité des Etat-Nations en Afrique,  il faut craindre l’effet de contagion dans la sous région , dans certains pays comme la Guinée ,  le Sénégal, la Mauritanie, le Nigeria etc… Loin d’une prévision catastrophiste,  c’est de l’échec des Etats-Nations en Afrique qu’il serait possible de saisir l’échec de la defunte l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) , créée en 1963 , puis de l’Union Africaine aujourd’hui.  L’OUA, dans sa charte constitutive, avait posé le principe de « l’intangiblité des frontières héritiées de la colonisation ». Si ce principe, dans la forme,  préserve les Etats africains d’éventuels conflits frontaliers, il faut remarquer qu’il comporte un frein à l’intégration africaine telle que formulée par N’Kwamé Krumah , opposé à  » la thèse des cercles concentriques » de Léopold Sédar Senghor. Les conflits qui surgissent de toute part en Afrique prouvent à suffisance l’échec de « la thèse des cercles concentriques ». Une prise de conscience et un changement de paradigme sont nécessaires en Afrique.  L’Afrique peine à redonner une image reluisante car le continent apparait aux yeux de l’opinion mondiale comme une terre de drames et d’occasions ratées.
Dramane DIAWARA
Coordinateur Général NewsGuinée
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