Ce quil faut retenir de la sortie ubuesque du président alpha conde

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La semaine qui vient de s’écouler a été riche en actualité, mais surtout de punchline aux allants de provoque évidents. Entre un Ousmane Gaoual, le show-biz man de l’UFDG (principal parti de l’opposition ndlr), auteur d’une sortie jugée ubuesque, et le buzz créé par un site internet « electiondeguinee.org  », demandant aux guinéens de voter pour ou contre une modification de la Constitution, les médias guinéens n’ont guère manqué de Une alléchante. Mais de tout cela, c’est bien la visite inopinée du Chef de l’Etat qui cristallise tous les débats de ce lundi 25 Mars 2019.

En effet, à l’occasion de la validation des représentations scolaires  et universitaires du parti RPG-arc-en-ciel (parti au pouvoir ndlr), dimanche 24 décembre, le président de la République, le professeur Alpha Condé, a été reçu comme invité.

Se retrouvant dans son élément préféré, devant une foule entièrement acquise à sa cause, le Chef de l’Etat n’a eu de cesse à démontrer ce qu’il sait faire de mieux. Des attaques à deux balles placées çà et là contre ces principaux protagonistes politiques, de l’invective contre des acteurs de la société civile, la diligence de la machine judicaire contre ses détracteurs…..Bref, le Président de la République n’a point daigné ménager ses mots.

Loin de se limiter là, il est y allé jusqu’à troquer son manteau de Chef de l’Etat contre celui du simple militant.

Mais que doit-on en retenir ?

De la violation de la Constitution

En se rendant au siège de son parti, le Président de la République procède ainsi d’une violation grave de l’article 38 de la Constitution guinéenne qui stipule : « la Charge de Président de la République est incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique ou privée, même élective. Il doit, notamment, cesser d’exercer toutes responsabilités au sein d’un parti politique »

Partant, le Chef de l’Etat a profité de cette tribune pour descendre tous ceux qui profitent de certaines situations pour « l’insulter », selon ses propres termes. A ce propos, il affirme : « J’ai donné l’ordre pour que tout petit drogué qui sera pris en train de m’insulter soit arrêté et subira la rigueur de la Loi… La démocratie est un débat libre. On peut critiquer l’action du gouvernement, l’action du Président. Mais la Constitution dit qu’on ne doit pas insulter le Président. Donc, je préviens, quiconque insultera désormais le Président subira la rigueur de la Loi. »

Justement, le Président de la République n’a rien inventé, il n’a fait qu’avertir les gens sur des conséquences que peuvent avoir de tels agissements indélicats. D’ailleurs, les comportements de cette nature sont prévus et condamnés par la disposition 37 de la Constitution en vigueur, citation : « le Président de la République est protégé contre les offenses, les injures et les calomnies dans les conditions que la loi détermine ».

A la lecture de cette disposition, deux impératives s’en dégagent :

  • La fonction de Président de la République est protégée. Et comme celle-ci n’est autre qu’une institution, alors la protection va, de facto, bénéficier à la personne qui l’incarne ;
  • Cette protection n’est pas absolue. C’est-à-dire qu’elle est assujettie à des conditions que la loi, elle-même détermine.

Or, dans l’analyse des faits, un aspect qui pourrait être entendu comme une exception à l’article 37, était manifeste. Celui-ci trouve son fondement dans le discours même du président : « Je suis venu vous dire que je laisse mon manteau de Président de côté. Je prends mon manteau de militant, car maintenant je suis prêt à la bataille contre ces gens qui veulent (…) nous n’allons plus permettre que des gens prennent le peuple en otage par des mensonges » précise-t-il.

Du discours qui précède, peut-on s’accorder que le militant Alpha Condé, à l’instar du Président Alpha Condé, pourrait bénéficier des privilèges de la disposition 37 de la Constitution du 7 mai 2010 ? Je n’en suis pas si sûr.

Mieux, quand monsieur Alpha Condé parle « j’ai donné l’ordre au Procureur… ». Est-ce le militant ou le Chef de l’Etat qui s’exprime ? La nuance reste importante.

Le Président ou le militant, que ce soit l’un ou l’autre des manteaux qu’il entend arborer, constitutionnellement parlant, Alpha Condé a-t-il le pouvoir nécessaire, de donner des injonctions au procureur de la République ?

  • N’est-ce pas là, une preuve éloquente que monsieur Alpha Condé participe clairement à la violation du principe de séparation des pouvoirs? Principe qui pourtant, au-delà d’être consacré par la Constitution, garantit l’indépendance de la Justice.
  • N’est-ce pas là, des conditions suffisantes pour que l’action publique se mette en mouvement contre le militant Alpha Condé ?

Comme si tout cela n’était pas suffisant, Alpha Condé, subjugué par l’effervescence des militants du RPG, y est allé de plus belle. Si jusqu’ici, les uns et les autres s’entredéchirent sur le caractère non officiel des velléités révisionnistes du président guinéen, sa sortie d’hier, dimanche 24, devrait mettre tout le monde au même niveau d’imprégnation et de perception des enjeux qui assaillent le pays. Quand monsieur Alpha Condé affirme : « Personne ne m’empêchera d’aller devant le peuple pour lui demander ce qu’il veut  »

Si l’article 152 de la Constitution, donne concurremment au Président de la République (projet de loi) et aux députés (proposition de loi), le privilège de procéder à la révision de la Constitution ou à un referendum, il n’en demeure pas moins que la même Constitution, substrat du pouvoir politique, interdise à tout guinéen, fut-il Président ou député, ipso facto, tout trajet allant dans le sens du changement des articles 27 et 154.

De ce point de vue, quel intérêt conduirait le Président ou militant Alpha Condé à vouloir demander son peuple ? Quelle va être la nature de la demande (referendum, simple consultation ou débat citoyen) ? A présent, ces questions restent entières.

 QUELLE FORCE POUR ARRETER ALPHA CONDE

Il est évident  que les intentions, jadis camouflées du Président, sont, désormais, devenues manifestes. A telle enseigne que l’on peut être en droit de s’interroger, si le professeur Président et militant Alpha Condé souhaite aller au forcing pour faire sauter le verrou constitutionnel, qu’elles peuvent être les forces qui pourraient servir de contrepouvoir, face à cette machine infernale de violation de la Constitution, toute proportion gardée.

Dans le schéma classique d’un Etat normal et moderne, ce sont d’abord la justice, ensuite l’opposition (par le truchement des députés et non dépités), puis la société civile (avec l’ensemble de ses plateformes diverses), pour enfin terminer par l’armée, qui peuvent faire office de véritable rempart contre un coup d’Etat constitutionnel.

En fait comme en droit, s’il y a velléité d’une telle importance, il revient naturellement à l’institution judiciaire de montrer les limites de chacun. Or, depuis la destitution polémique de celui qui a glacé les ardeurs du Chef de l’Etat, en l’occurrence maitre Kéléfa Sall (premier Président de la Cour Constitutionnelle, ndlr), plus rien ne rassure que l’institution judiciaire serait à même de répondre au défi qui devrait être le sien.

Que dire de l’opposition politique au Président Alpha Condé, quand on sait que l’essentiel des forces de cette opposition est aujourd’hui, soit phagocyté, soit fonctionnarisé.

S’agissant de la société civile, à travers Abdouramane Sanoh, président de la PCUD, Alpha Condé, fidèle à sa rhétorique habituelle, n’a point ménagé ses termes. Bandit, hypocrite, mauvais payeur, ce n’étaient pas les qualificatifs qui avaient manqué au décor. Loin  de viser monsieur Sanoh uniquement, c’est bien un problème fondamental qui assaille toute la société guinéenne qui a ainsi, été exposé publiquement. Monsieur Sanoh, aussi coordinateur général des forces sociales, si la Haute Cour de Justice (Institution constitutionnelle chargée de juger le Président, et les ministres de la République, ndlr) n’existe pas encore, a le droit de porter plainte contre le militant Alpha Condé. Encore faut-il le préciser, cette « diffamation » ne provenait pas du Chef de l’Etat, mais du militant Condé.

Quid de l’armée ?

Réellement, quand on oppose toute cette nomenclature des forces actives aux réalités du régime Condé, la seule force qui aurait les moyens de s’affranchir de ce bourbier, est bien l’armée. Or, le militant Alpha Condé s’est montré catégorique à ce sujet : « Je suis très calme… Ils ont pensé qu’ils peuvent compter sur certains militaires pour faire un coup d’Etat. Le chef d’Etat-major de l’armée de terre, de l’armée de l’air, de la  marine, car l’armée est une armée Républicaine qui est derrière le pouvoir. Ne vous laissez ni intimider, ni rien. Aidez vos camarades à comprendre la réalité de la Guinée ».

Alpha Condé, prêt pour l’affrontement, prêt pour une militarisation effective de la Guinée ?

En tout cas, c’est ce qui ressort, sans ambages, de son discours. Comme à son accoutumée, il n’a pas daigné se servir des raccourcis politiciens. Il y est tout sans détour aucun :

« Je connais c’est quoi la contestation. Soyez prêts. Si les gens sont prêts pour le débat politique, soyez prêts, si c’est pour l’affrontement, soyez aussi prêts. Voilà. Car quand tu danses avec un aveugle, il faut de temps en temps lui monter dessus pour qu’il sache qu’il n’est pas seul. Le Gouvernement aussi va assurer l’ordre. Nous n’accepterons plus que les gens cassent. Nous assurerons l’ordre. C’est pourquoi nous avons mis les PA ? »

Dans ce pan du discours, le militant démontre clairement qu’il sait faire la part des choses entre le débat politique et l’affrontement politique. Non seulement cela, mais aussi, il indique, quelque peu soit-il, le fondement de la mise en place des PA, entendez ‘’postes d’appui’’, constitués de militaires, de gendarmes et de policiers, postés dans les grands carrefours de la capitale.

Sous quel motif, le Président souhaite renforcer les PA ? Restreindre les libertés des autres citoyens lors du prochain affrontement ? Les jours et les mois à venir nous le préciseront davantage.

Dans tous les cas, cette énième sortie du Président Alpha Condé, si elle a été appréciée par le camp au pouvoir, elle ne laissera pas indifférentes, l’opposition et la société civile guinéenne.

Riche en affirmations scabreuses, en invectives douloureuses et en attaques tous azimuts, le militant Alpha Condé, à voir de plus près la virulence et la quasi improvisation qui ont marqué son discours, dénote non seulement d’une certaine assurance qu’il aurait quant à l’annihilation des capacités de nuisance de l’opposition et de la société civile, mais aussi du soutien qu’il engrangerait du côté de l’armée et de ses militants.

Mais comme on le dit souvent dans notre pays, « le dernier mot appartient au peuple ».

CHERINGAN

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